● 影の街に住む魂の信じられないほどの物 語 ●
n i g h t m a r e s - Elle est arrivée dans sa famille adoptive à trois ans. Jeune, à l’aube d’une vie qui était encore à écrire. Et pourtant, déjà, elle avait son passé, son vécu. Les enfants adoptés n’arrivent jamais sans avoir vécu une poignée d'aventures, sans avoir surmonté quelques épreuves insoupçonnées.
Ava, ils l’avaient sauvée de l’orphelinat. Ava, elle avait vu défiler les familles d’accueil qui passaient, regardaient, lui donnaient espoir en esquissant quelques sourires. Ava avait connu très jeune le sentiment de rejet. La crainte de ne pas être désirée, de ne pas être adoptée. Elle avait appris à sourire, elle aussi, à être sage, à devenir la petite fille idéale, celle que l’on rêvait d’élever.
Et pourtant, maintes fois, cela n’avait pas fonctionné. Elle avait vu repartir, les bras vides ou comblés, les familles tant espérées.
Il était difficile de réellement savoir quelles cicatrices lui traversaient la psyché, mais ses débuts chez les Reid avaient été mouvementés.
Ils avaient accueilli une enfant attachante mais craintive, anxieuse. Les premiers mois, elle suivait ses nouveaux parents partout et réagissait fortement quand ils n’étaient pas avec elle.
La nuit, elle se réveillait en pleurs. Torturée par des monstres imaginaires, par des situations rocambolesques qui lui venaient en rêve. Ces cauchemars ressemblaient à ceux qu’auraient eu n’importe quelle gamine de son âge. Pourtant, les siens étaient fréquents, très fréquents, trop fréquents.
Heureusement, la petite a connu la thérapie jeune. Ses parents, à l’aise financièrement, la firent voir une pédopsychiatre, qui devint, avec eux,  l’une de ses premières alliées dans sa nouvelle vie. Les terreurs nocturnes ont diminué, peu à peu. On pense qu’elle aurait été marquée par l’abandon, par le départ de sa mère biologique et par son mode d’attachement devenu chaotique.
Encore parfois, aujourd’hui, le cauchemar le plus fréquent lui revient, dans ses périodes les plus difficiles.

s t r a n g e a n d u n u s u a l - Elle se sentait étrange, Ava. Elle se sentait différente. Ce n’était pas seulement sa peau, ce n’était pas seulement ses traits, hétéroclites au milieu de ses camarades tous caucasiens. C’était une impression, un sentiment qui lui prenait les tripes.
Elle se sentait chez elle, la plupart du temps, entourée de ses parents. Pourtant, par moment, elle observait le monde autour d’elle et avait l’impression de ne pas réellement y vivre. D’être simple spectatrice de sa propre vie. Comme si quelque chose n’allait pas. Comme si la réalité n’était qu’une illusion qu’elle observait se dérouler à distance, sans vraiment en faire partie.
L’impression lui venait plus souvent quand elle se trouvait en terrain moins connu, à l’école, par exemple. Ou quand elle se sentait triste, seule. Quand les questionnements lui effleuraient l’esprit et qu’elle se demandait ce qui avait pu pousser sa génitrice à ne pas la garder. À l’abandonner.
Au fil du temps, elle s’était créée ses propres réponses automatiques, semblables à celles que tentait de donner sa famille adoptive, du meilleur de ses connaissances. Elles ont fini par, à défaut de la satisfaire entièrement, l’apaiser, mettre de côté ses sentiments d’étrangeté.  

h o m e s i c k - Autour de sa majorité, autour du début de ses études supérieures, les questionnements revinrent. Ava se réfugiait auprès des plantes, dans la boutique familiale, un endroit qui l’accueillait, un endroit qui était devenu son domaine. Et elle suivait son meilleur ami, essayant d’être à ses oreilles la voix de la sagesse dans toutes ses aventures tumultueuses, qui, au fond, lui permettaient au moins de se changer les idées. Il était son complémentaire et l’une des personnes auprès desquelles elle avait enfin le sentiment d’être chez elle, alors que la solitude commençait à l’envahir, parfois, depuis que sa curiosité lui revenait.
Motivée par son amour des plantes, elle avait, peu à peu, décidé de s’orienter dans cette direction, au niveau professionnel et avait commencé à étudier pour, un jour, s’élever au rang de naturopathe.
Malgré tout, en grandissant, elle commençait à s’interroger, à vouloir en savoir plus sur sa famille biologique, sur sa mère biologique. Ses parents adoptifs furent réticents, une longue période de temps. Puis, peu à peu, lui glissèrent quelques indices, lors d’événement spéciaux, lors de ses anniversaires. Tout cela ne fit qu’assoiffer encore plus leur fille, toujours à la recherche de nouvelles réponses. Au fil des ans, l’idée de partir, de découvrir son pays d’origine et de rencontrer sa génitrice fit son chemin dans son esprit.

b r o k e n - La culpabilité l’étouffait, cette nuit-là. Ses études l’avaient prise, trop prise et elle regrettait, se sentait fautive, horriblement fautive. Le cœur brûlait. Oubliés ses problèmes, oubliés ses besoins de découvertes, oubliés ses examens qui approchaient. Il n’y avait que lui, cette nuit. Son meilleur ami.
Allongé.
Dans ce lit d’hôpital.
L’image était choquante, improbable. Lui qui ne se reposait jamais, lui qui semblait une source intarissable d’énergie. Lui qui lui partageait la sienne, lorsqu’elle en avait besoin. Il était gaffeur, attirait les malheurs, mais il n’en méritait pas tant. Mais il ne méritait pas ça. Même si elle l’avait souvent prévenu, même si elle savait bien que la vie aimait punir les téméraires, elle était outrée, fâchée. Il ne méritait pas ça.
Il s’était rétabli, peu à peu, physiquement. Pourtant, en lui, quelque chose s’était brisé. Et même Kae n’arriva jamais à le réparer.
Dans sa jeunesse, elle avait appris à jouer du violon. Un passe-temps qui lui avait aussi permis de passer du temps avec lui, de jouer, parfois en sa compagnie. Elle jouait pour son simple plaisir, cependant. Nash, lui, jouait aussi pour briller, pour percer. Et il était doué.
Cette nuit-là, elle cessa de jouer. Pour toujours. Par compassion, par solidarité. Elle n’a plus touché un instrument depuis. Elle ne le referait probablement que pour lui, que s’il était prêt, que s’il en avait envie.

a n s w e r s - Rien ne changeait. Tout stagnait. Même ses apprentissages la lassaient. Et son meilleur ami n’était pas là, cette fois, pour la divertir, pour lui montrer le monde. Il était blessé et elle avait de la difficulté, même elle, à le faire accepter de se faire visiter.
Elle persévérait, pourtant, et avait fini, patiemment, par avoir quelques rencontres avec lui, au moins une fois dans la semaine. Elle essayait, souvent en vain, de le motiver à sortir, puis lui racontait sa journée, souvent ponctuée des recherches qu’elle avait débutées.
Avec les informations glanées auprès de sa famille adoptive, elle avait réussi à en trouver de nouvelles sur ses parents biologiques. De minces, mais elle savait plus ou moins à quel endroit aller.
Ces détails l'intriguaient, l'obsédant même, depuis qu'elle les connaissait. Peu à peu, un plan se dessinait dans son esprit, peu à peu, elle prévoyait visiter le pays.
Lorsqu’elle réfléchit à son départ, elle se tourna vers son soutien, son allié de toujours, son complément. Elle avait besoin de lui. Et il avait besoin d’elle. Son inertie avait assez duré et elle pensait que le voyage serait une bonne façon de lui changer les idées. De commencer à reprendre un semblant de vie normale.
Avec beaucoup d’insistance, beaucoup d’arguments, en répétant les avantages et en faisant briller sous ses yeux tous les endroits à visiter, elle avait réussi à le convaincre. Ils étaient partis ensemble. Son Voyage avait enfin lieu. Elle approchait de ses origines, peu à peu.

l o s t - L’endroit était merveilleux, même si tout était mystérieux. Ava se sentait chez elle, avait l’impression de retrouver des lieux et des gens qu’elle connaissait en ne les ayant jamais vus. Elle s’enivrait des odeurs, s’imprégnait des paysages, même les plus simples.
Elle réussit, malgré tout, à ne pas se perdre, à ne pas oublier ses buts. À poursuivre ses recherches, à interroger ceux qui pourraient peut-être l’aider.
Elle avait appris, finalement, auprès de la vieille dame d’une des mairies du pays, que ses parents étaient, en fait, portés disparus. Depuis longtemps. La nouvelle lui avait fait un choc. D’un coup, son conte de fées lui donnait des cauchemars. Ceux de son enfance lui revenaient, aussi vifs et détaillés que quand elle venait de se faire adopter. Ava arrivait trop tard ; il n’y avait plus de traces d’eux depuis une vingtaine d’années, déjà.
L’espoir s’essoufflait, mais elle persévérerait. Elle décida de ralentir, de profiter encore plus du voyage, d’explorer le Japon avec son meilleur ami en mettant de côté, pour un instant, les investigations qu’elle avait faites dans le plus grand des secrets.
Dans leurs aventures, ils s’étaient égarés. Lors d’une randonnée, les choses avaient changées. Nobu et Kage No Machi les avaient trouvés. Quelques murmures en japonais et une indication pour retrouver votre chemin qui n’était qu’un piège, qu’une voie sans retour.

b e t t e r o r w o r s e ? - Les émotions se mélangent. Les émotions sont étranges. Les mois avancent et Kae sait qu’elle devrait faire plus d’efforts, qu’elle devrait tenir les promesses faites à Aho, qu’elle devrait trouver un moyen de quitter la ville, de retrouver leurs anciennes vies. Plus le temps passe, plus ses désirs deviennent vaporeux, plus ses souvenirs deviennent flous. Elle devrait enquêter, trouver avec son meilleur ami comment quitter l’endroit, comment revenir à leur vie d’origine. Et pourtant, elle s’attache, elle se perd, elle oublie. Elle se sent bien ici. Et, au lieu de chercher comment s’en aller, elle cherche autre chose. Elle soupçonne la présence de ses parents. Elle essaie d’en savoir plus, de les retrouver dans la ville fantôme.
Et, plus le temps passe, plus les liens s’effritent. Parfois, les souvenirs lui manquent, les doutes lui viennent. Sa mémoire lui revient moins naturellement, moins spontanément, plus difficilement si elle ne la stimule pas d’elle-même. Si, d’elle-même, elle ne réalise pas qu’il manque quelque chose, que son sentiment est lié à un souvenir et que sa familiarité n’est pas une simple impression de déjà-vu. Ces instants d’oublis sont brefs, courts, mais inquiétants. Elle a peur. Peur de perdre ses repères, peur de perdre ses objectifs, peur de perdre son meilleur ami et sa famille biologique, avant même de l’avoir retrouvée.
Son monde idéal à ses défauts et la fait vivre dans un étrange état de flottement, entre l’euphorie et la crainte.
Pour ne pas oublier, elle a commencé, à vingt-six ans, à rédiger ses mémoires. Ses souvenirs d’enfance les plus anciens, ainsi que son vécu, son quotidien, comme un journal intime.